Peut-on vivre de la céramique?

Peut-on vivre de la céramique?

Cela fait presque 18 mois que je me suis lancé dans la poterie aux côtés de ma compagne qui en faisait depuis 12 ans. Devenu auto-entrepreneur, avec un N° de SIREN et assurance professionnelle, j’ai acheté un four électrique, une croûteuse, un tour, et la matière première. Nous avons beaucoup travaillé à créer des objets utilitaires et décoratifs, et à ce jour on a encaissé seulement 300€ au cours de deux marchés de Noël.

Résultat, si on devait en vivre on serait à la rue et au pain sec. Une jeune amie potière  a ouvert sa boutique dans un village il y a 14 mois. Elle a réussi à se payer un petit salaire au bout d’un an.

Les ventes et les cours ne permettant habituellement que de payer le loyer de la boutique, les taxes et la facture d’électricité (un four ça consomme!) soit environ 500€/mois.

Un peu décevant et même si on est passionné on ne peut pas éviter la question de la commercialisation de son travail. Alors cet après-midi j’ai écouté la session organisée par le  » collectif-ceramistes.org »  animé par Jérome Roussel sur le thème:

« Optimiser la commercialisation de la céramique dans les petits ateliers d’aujourd’hui »

Il s’agit d’une intervention récente datant d’octobre 2023, organisée par le collectif national des céramistes en réponse à l’enquête menée par la commission. Celle-ci a fait remonter cette question prioritaire parmi les potiers. Le marché de la céramique est en pleine transformation et s’il y a 30 ans on pouvait s’installer et vivre de son art, aujourd’hui cela paraît plus difficile.

On se demande si aujourd’hui on peut vivre de la transformation de la terre.

Une enquête de conjecture menée par la commission aurait montré effectivement que le marché de la céramique ne se porte actuellement pas bien.

Voici les questions que pose Jérome ROUSSEL :
1/ Quels sont mes clients?

Un exemple de ce céramiste passionné d’encens qui veut vendre des céramiques pour contenir de l’encens. Après enquête, marché étroit, 15 acheteurs potentiels, bien sûr, c’est insuffisant. Alors je continue ou je change ma production? Si je ne change pas, je vais dans le mur, heureux mais dans le mur.

Jérome lui même a passé 4 ans a faire des marchés et zéro de chiffre d’affaires ce qui entraîne un doute sur soi-même, une remise en question.

Donc il faut se poser la question: où sont mes clients? S’ils ne sont pas sur les marchés, où sont-ils, où vont-ils en vacances, de quel budget disposent-ils ? …Si je fais des théières, il me faut trouver les amateurs de thé, si je fais des pièces haut-de-gamme pour restaurants, dois-je faire du porte-à-porte pour trouver un restaurant qui me les prenne ou ne puis-je pas trouver d’un seul coup une centaine de restaurateurs qui accèdent à ma production?

Donc: il faut m’adapter à ma clientèle et savoir où je peux la trouver

2/ Quels sont mes concurrents? qui sont-ils et que font-ils, je dois regarder leur travail en toute objectivité.

Si je fais de l’utilitaire, j’ai beaucoup beaucoup de concurrents dont IKEA (on peut ajouter Maisons du Monde, Centrakor… la liste est longue) . Ils produisent des articles dont le design est remis au goût du jour, pour un prix modique.

Alors bien sûr le potier s’indigne  » oui mais moi c’est fait manuellement, chaque article est unique »

Certes mais est-ce un argument entendu par l’acheteur ?

C’est pire sur Internet où l’acheteur doit trouver la réponse à sa quête sur votre site en 5 secondes sinon il zappe. Au début de son expérience personnelle, Jérome avait comme concurrents sur les marchés TOUS les potiers présents. Il les interrogeait, les observait, épiant même leurs ventes essayant de deviner ce qui pouvait attirer le client chez celui-ci plutôt que chez celui-là et se posant la question: comment s’y prennent mes concurrents et est-ce que ça marche?

3/ Qu’est-ce qui me distingue de mes concurrents? Pour m’insérer  dans une place, qu’est-ce qui va faire qu’on va venir m’acheter.

Si je fais de la production utilitaire en faïence ou en terre vernissée, nombreux seront mes concurrents et quelle va être la plus-value de ma production par rapport à celle du voisin? Qu’est-ce que j’apporte en plus?

On peut se dire « on verra bien » mais si je souhaite communiquer sur mon travail, il va falloir que je mette en avant CE QUI ME CARACTERISE car il y a autant de sensibilités qu’il y a de potiers et l’acheteur va acheter une histoire.

Donc: Identifier sa propre sensibilité et la mettre en valeur.

Faut-il envisager d’adhérer à une association, à un groupe, à un collectif de potiers..? car selon l’adage « l’Union fait la Force »

Trois intervenants:

Sarah HENG,

Ancienne commerciale d’entreprises, reconvertie en « agent de céramistes  » qui a créé « Minuit céramique » en 2020  avec une amie potière. Elle intervient en tant qu’agent pour trouver une commercialisation avec un objectif financier. Son modèle est celui de la gestion d’entreprise. Elle travaille avec une quarantaine de céramistes. En organisant des marchés de potiers en ligne, des ventes éphémères et des ventes thématiques, les produits sont visibles.

Entre les petits ateliers qui font une centaine de pièces et les manufactures qui en font 3000, il manque des céramistes qui font quelques centaines de pièces. L’idée est de grouper les petits ateliers en vue de commandes communes.

Un agent prend en charge les commandes, négocie le prix, structure les artisans, présente un devis…

Personnellement je trouve qu’on entre là dans « LE MARCHE » avec tout ce que cela implique et l’approche est plutôt industrielle qu’artisanale.

Frédéric LE FUR

Potier lui-même, est membre actif de deux associations du sud-ouest « Terre-et-terres » et « Terres neuves du Sud-Ouest » .

Quatre boutiques collectives sont ouvetes à Montauban, Moissac, Carcassonne et St Cirq Lapopie. Les boutiques regroupent une vingtaine d’exposants. Ils se relaient environ 2j/mois pour tenir la boutique.

Dans les lieux touristiques les boutiques ne sont ouvertes que pendant 6 mois. A Montauban c’est ouvert toute l’année pour un loyer de 800€. Le loyer beaucoup plus élevé à Carcassonne mais il y a 2 millions de visiteurs/an.

Le chiffre d’affaire est d’environ 7000 à 8000€/an en moyenne. Certaines peuvent faire 6000€ en un mois alors que l’autre boutique pendant le même mois ne fera que 250€.

Les adhérents n’avancent aucun frais et paieront un fixe égalitaire et une part variable au prorata de leurs ventes respectives. Par exemple, celui qui aura vendu 20% des ventes de la boutique paiera 20% de la facture d’électricité. La décision d’ouvrir une nouvelle boutique se prend en assemblée générale.

Ce travail d’équipe mérite les applaudissements et les encouragements, un bon exemple à suivre.

Fanny DAUTHEZ

Travaille à « l’Institut National des Métiers d’Art  » association qui dépend des ministères de la Culture, de l’Economie et de l’Education Nationale. J’ai personnellement trouvé que son intervention était décalée par rapport aux préoccupations des céramistes et par rapport au thème proposé, un peu trop « parisien chez les ploucs ».  Dommage, ce pourrait être un organisme fédérateur mais probablement trop dispersé.

28/02/2024: Comment vendre nos pièces?

Il n’y a pas 36 manières de pouvoir écouler sa production. On peut exposer sur les marchés, les présenter dans une boutique, ou les diffuser par Etsy.com ou par les  réseaux sociaux.

  • Marchés de potiers:

    On a commencé par envoyer une candidature à 7 marchés de potiers. A ce jour 4 d’entre-eux ont répondu négativement. Ils ont pour la plupart plus de 100 candidats pour 10 à 20 places d’exposants. On attend les autres réponses mais ça paraît difficile. Tous ces marchés demandent si on adhère à une association de potiers. Je suppose qu’adhérer à une association doit faciliter le ticket d’entrée.

  • Pour la boutique:

On peut adhérer à une association comme décrit plus haut. Il faut s’engager à être présent physiquement dans la boutique de l’association une à 2 journées par mois. On peut aussi participer à des boutiques éphémères ou conclure un accord avec des commerçants locaux type boutique de cadeaux, fleuristes…

  • Ouvrir sa propre boutique

Cela demande de trouver un local bien placé: être VISIBLE, dans une rue passante. Le loyer est d’environ 500 à 1000€/mois selon le lieu. Ce n’est envisageable que si on donne des cours qui assureront des entrées régulières. Les ventes seules sont variables selon les périodes de l’année.

  • Passer par Etsy.com :

Les avis des internautes sur les réseaux de potiers sont très partagés: site non sécurisé, risque d’arnaque! D’autres sont enthousiastes.

  • Les réseaux :

Pour vendre en ligne, il faut tout-d’abord rendre le site visible et attrayant. J’ai interrogé des céramistes qui ne commercialisent leurs produits que par ce moyen. Toutes nous ont clairement dit qu’il faut être très actif sur instagram, tik-tok… Il faut communiquer plusieurs fois par jour!  C’est une activité qu’il est difficile d’assumer.

Ta CREATION ne peut se VENDRE que si elle est VISIBLE

15/04/2024 Quelques réflexions sur le même sujet. Si ce blog-ci est bien visité il n’en est pas de même de la boutique en ligne qui est au point mort. Il faut alors faire sa propre auto-critique: 1/ je n’entretiens pas la boutique en ligne 2/ je ne communique pas grâce aux réseaux 3/ on n’a pas de ligne de production.

Il ne faut donc pas en rester là et la décision a été prise en répondant à rebours aux 3 critiques: 1/ Préparer une ligne de production, ce qui veut dire travailler beaucoup 2/ La faire connaître par les réseaux.   3/ Entretenir la boutique en ligne au quotidien et la rendre attractive

28/09/2024  Si tu ne bouges pas, tu n’avances pas

Pour la vente, on n’a pas avancé d’un pas mais pour la production on a beaucoup créé, motivés par le marché de potiers d’Auvillar auquel on va participer. J’avoue n’avoir  rien fait , ni pour les réseaux ni pour la boutique en ligne, ni pour Etsy…et donc, aucune vente. Je me dis que si nous n’avions que cette activité pour vivre on aurait certainement arrêté depuis longtemps mais… pas sûr car on aurait peut-être trouvé le temps, l’énergie et les moyens de se RENDRE VISIBLES.

08/12/2024 Le bilan de cette année

Il n’est pas mirobolant mais on est quand même satisfaits. Le marché d’Auvillar a rapporté 1700€. Ceci est correct car la médiane des 65 potiers était à 1500€ avec des extrêmes à 0 et 330€. Le marché de Castelnaud-d’Estrétefond a rapporté 400€ et celui du village 480€. Dans ce dernier, les acheteurs étaient pour la majorité des connaissances locales.  Enfin, quelques pièces ont été vendues dans une boutique de village.

Au total, 2700€ de recettes depuis octobre dernier pour 5 jours d’exposition. Les frais s’élèvent à 235 € pour les marchés (location d’emplacement de stands : 10 à 50€ / location de véhicule 125€).

Pour la matière première, c’est difficile à savoir car c’est globalisé mais on l’estime à 300€. Si on retire l’assurance à l’année 110€ et l’URSSAF qui reste à venir le bénéfice net est d’environ 2000€. On ne peut calculer le temps de travail des pièces vendues.

Pas de quoi pavaner, mais il faut pas se plaindre. On s’est fait plaisir à créer, à présenter nos créations au public, à rencontrer  des collègues potiers.

De plus, ça permet de réduire les stocks qui sinon s’entassent sur des étagères.

Pour en vivre il faut faire ça toute l’année, travailler dur pour produire et aller dans une dizaine de marchés au moins. Il faut être représenté dans plusieurs boutiques ayant une nombreuse clientèle. Et puis il faut enseigner.  Emilie, dans son atelier de Saverdun dispose de 4 tours sur lesquelles elle enseigne pour environ 250€/mois. C’est pas énorme mais avec ça, elle couvre ses frais de fonctionnement.

5 principes à méditer

1/ Créer REGULIEREMENT

2/ Avoir une production « typée », RECONNAISSABLE

3/ Etre VISIBLE

4/ Donner des COURS

5/ Savoir S’INTERROGER et se RENOUVELER

 

2 réflexions au sujet de « Peut-on vivre de la céramique? »

  1. Je vous livre mon commentaire en qualité de sculpteur et ceramiste amateur. L’installation avec four tour etc c tres lourd financierement. En tant que visiteur de salo n g constaté que l’originalité paie avec une histoire. L’aspect luxe et histoire ancienne par exemple écriture ancienne sur des boîtes pots etc. Il faut qu’en arrivant on se démarque des autres exposants. Rechercher l’histoire de sa région et s’en inspirer. Bonne recherche.

    1. Merci pour votre commentaire. Je vais suivre votre conseil car près de chez moi il y avait une centaine de potiers à la fin du 19ème siècle, de quoi alimenter une histoire.

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