Je reçois la 3ème édition du livre de Phil Rogers : ASH Glazes édité en 2023 dont la 1ère impression date de 1996.
Ce livre est plus qu’un guide pour la fabrication d’émaux à partir de cendres. C’est une initiation à l’exploration personnelle de l’utilisation des matériaux qui nous entourent.
Présentation de l’homme et du livre
L’homme

Cet artiste potier, né le 28 mai 1951 à Newport (Pays-de-Galles sud), décède le 22 décembre 2020 après une courte maladie qui surprend son entourage et le monde de la poterie. Sa célébrité dépasse les frontières du Royaume Uni. Une cinquantaine de musée expose ses oeuvres. Il se marie en 2011 à Hajeong Lee Rogers, elle-même potière reconnue.
Avant-propos
Dans son avant-propos, Mike Dodd renvoie dos-à-dos les concepts de « tradition » et « innovation ». La critique de la poterie traditionnelle va souvent de pair avec la promotion de la poterie dite innovante sur certains marchés ou certaines expositions. L’art traditionnel ne s’improvise pas, ne s’hérite pas et demande beaucoup de travail. L’innovation ne signifie pas, dans le domaine de la poterie, faire quelque chose de nouveau. Ce terme est entendu uniquement comme l’idée de « rafraîchir ».
Son épouse, Hajeong Lee Rogers, se satisfait plus du fait que ses clients utilisent au quotidien ses plats et objets utilitaires que de ses objets décoratifs.

Traditionnel ou innovation
Ce week-end, Christian Charre, exposant au marché potier d’Auvillar me confie que la désaffection croissante du public pour le marché des Tupiniers à Lyon a cessé. La ré-introduction de la poterie traditionnelle et utilitaire aux côtés de la poterie « contemporaine » y est pour beaucoup. Le marché des Tupiniers est désormais florissant, aussi bien pour les potiers que pour le public.
La tendance « galeriste », consistant à présenter des objets aussi beaux que rares et inutiles au détriment de pots utilitaires qualifiés de « ringards » ne rencontre pas toujours les faveurs du public. Pour preuve, notre exposition au marché d’Auvillar. Le premier jour nous n’exposons que des grosses pièces: vases et potiches enfumées, sculptures animalières ou d’inspiration personnelle… maigres ventes. Le dimanche, remplacement des pièces décoratives par de l’utilitaire, avec des émaux de notre fabrication, testés en laboratoire pour l’alimentaire: … triplement des ventes.
L’antagonisme apparent entre traditionnel et innovation nous interroge.


Si ta démarche artistique est bien établie et que tu disposes d’une base traditionnelle, il te faut innover c’est-à-dire « rafraîchir » ta production, sans quitter ta ligne de production créative.
Si tu es jeune dans le métier, c’est plus difficile pour toi d’acquérir la base traditionnelle. Tu préfères sans doute t’essayer à de nouvelles formes, à des émaux au goût du jour. Tu penses ainsi t’affranchir d’un long apprentissage et pouvoir rapidement te différencier de la concurrence.
Mais il existe des potier-e-s qui cultivent l’art traditionnel, qui cherchent à se plonger dans les racines de cet art afin d’y puiser leur propre enrichissement.
Préface de l’auteur
Phil Rogers déclare que c’est une très bonne chose que d’utiliser ce qu’on a sous la main pour créer, dans la mesure du possible. Ces matériaux sont disponibles, gratuits, mais c’est également drôle et ludique. Certes il faut être doté d’une nature curieuse. Selon Phil Rogers, si tu utilises un nombre limité de matériaux tu vas découvrir ce que faire des pots signifie réellement. Parmi les émaux chinois les plus anciens, certains sont de simples mixtures de cendre et d’argile. Ils sont restés indépassables pour leurs riches couleurs et la qualité de leur surface. On s’émerveille que de tels pots, créés il y a plus d’un millénaire, restent une source d’inspiration et de stimulation pour des potiers actuels.

Bol dynastie Song (960-1279) , émail fourrure de lièvre
Objectif du livre
Ce livre a pour but de sensibiliser à la création d’émaux loin des catalogues. Il te propose d’expérimenter l’auto-découverte et à comprendre la vraie nature de ce qui nous entoure. Les potiers ont-ils une prédisposition au masochisme ? Il n’y a pas beaucoup de pratiques humaines qui nécessitent autant de dévouement et d’engagement obsessionnel. Les heures de travail sont longues, l’effort physique parfois difficile, les récompenses financières moins qu’excitantes.
Pourquoi alors cherchent-ils la difficulté d’accomplir eux-mêmes les recherches et la préparation de leurs propres matériaux ?
Avant, c’était plus par nécessité que par choix délibéré.
Aujourd’hui, les changements de goût et les tendances sociologiques orientent plutôt vers des couleurs brillantes.

Celles-ci ne sont pas facilement obtenues avec des matériaux de proximité. Certaines pièces comme ci-dessus sont créées par des artisans accomplis.
Mais dans l’utilisation de matériaux « clé-en-main » proposés par les manufacturiers, il y a aujourd’hui une part de paresse, de facilité, de disponibilité immédiate dans une société du jetable.
Attention nous dit l’auteur, c’est formidable que les potiers d’aujourd’hui puissent acheter chez les marchands tout ce dont ils ont besoin. Il est dommage cependant que certains n’aient pas la moindre idée de ce que ces poudres et substances puissent contenir.
Les émaux de cendres
C’est le titre du livre et nous allons en parcourir les chapitres.
Deux exemples de créateurs actuels d’émaux de cendres
Deux exemples:

Olivier Roche de Pleumeur-Baudou


"Je recherche des formes épurées et sobres, harmonieuses et simples. J'attache beaucoup d' importance à l'équilibre entre esthétique et utilité au quotidien. Mes émaux vont vers une dominante de bleu sur noir , mais aussi turquoise vert , noir mat et blanc aussi. je cherche des effets par sgraffite, mais aussi
par décor pointilliste sur émail. J' utilise beaucoup la cendre de bois pour mes couvertes (fougère , peuplier, eucalyptus, aubépine,etc )".
Qu’est-ce que la cendre de bois?
Il s’agit d’un résidu inorganique provenant de la combustion de la structure organique du bois et par extension, aux autres végétaux. C’est aussi une mixture complexe minérale et un cocktail chimique. Enfin, cela consiste en un mélange d’acides et d’alcalis solubles et insolubles d’une telle variabilité qu’il est vain de vouloir en connaître la composition exacte. Cela varie selon le type d’arbre, selon son origine géographie, de la terre où il a poussé, selon son âge, selon qu’on a brûlé le tronc ou seulement les branches…
Composition des cendres
1/ Les analyses
On distingue deux groupes de cendres : riches en Calcium ( bois et buissons) et riches en Silice (herbacées et céréales). On peut les classer aussi en basiques, et acides. La plupart des cendres d’arbres ont un taux de calcium de 20 à 40% qui peut atteindre 63% pour la cendre de pommier. Lorsque le taux de calcium est bas, la concentration en potasse K2O est élevée tel le saule qui contient le taux le plus bas en CaO (20% de Cao et 49,80% de potasse). Il faut s’aider de tables qui donnent une valeur approximative de la composition de telle ou telle cendre.

Pommier: CaO = 63% Saule: CaO=20%
2/ Evaluer leur contribution à l’émail
Bernard Leach dans son Potter’s book dit que la balance entre la fraction entre fondants (potasse, soude, magnesie…) et non fondants (alumine, silice et phosphore) permet de suggérer l’effet de la cendre sur l’émail. Les cendres à forte proportion de calcaire ont les fondants les plus forts, ce qui concerne la plupart des arbres et arbustes. Les cendres riches en silice sont produites par les plantes à croissance rapide (herbe, cultures céréalières, légumes, orties, écorces de grains et paille de riz).

Arbres et arbustes = Calcaire Herbe, céréales, légumes = Silice
Selon Cardew dans son livre Pioneer Pottery , les cendres riches en silice représentent un substitut au silex ou au quartz et les cendres de teneur haute en calcaire sont une alternative à la craie.
La collecte et la préparation des cendres
La collecte
Si tu brûles 45Kg de bois sec, tu peux espérer obtenir 227g de cendres utilisables. Cela donne une idée de la quantité de bois à brûler si on veut faire des émaux de cendres dans un but commercial. Il faut pouvoir disposer de bois, d’un poêle pour le brûler et d’un récipient en métal pour stocker les cendres. L’idéal est de se servir du bois pour se chauffer en hiver.


Il ne faut brûler et récolter qu’une seule espèce de bois à la fois. Il faut s’assurer qu’il n’y a pas de terre, de graviers, de charbon de bois, d’anthracite, d’ossements, de morceaux de plastique ou de ferraille. Le papier, les journaux ne posent pas de problème en petite quantité. Les récoltes de bois ou de céréales peuvent se trouver autour de toi, mais veille à pouvoir y retourner, si jamais ton émail est réussi.
La préparation
Tu peux construire ton four toi-même en briques réfractaires. Le mieux est d’avoir un poêle qui te sert en plus à te chauffer. Tu peux allumer le feu avec du papier journal et des brindilles. Veille à ne pas avoir un feu trop vif. Le bois doit brûler lentement afin d’éviter de perdre les particules fines.
Laver les cendres ou pas ?
Certains lavent, d’autres non. Les cendres de plantes contiennent des composants solubles, potasse, carbonates, sulfates et chlorides. Certains de ces alkalis solubles peuvent poser le problème de déflocculation dans la bassine d’émail et le rendre inutilisable. Le conseil de Phil Rogers est de laver les cendres, celles-ci se conservent mieux et ton émail est plus reproductible.
Comment laver les cendres ?
Un jour sans vent, dépose les cendres dans une bassine que tu emplis à moitié. Fais bien attention à ne pas perdre les particules fines. Mets un masque, ne touche pas les cendres autrement qu’avec des gants. Emplis lentement la bassine avec de l’eau jusqu’à raz-bord. Remue bien le tout et laisse reposer toute la nuit. Le lendemain, retire avec une passoire le charbon de bois qui flotte en surface. Laisse s’écouler l’eau de surface puis remplis avec de l’eau propre. Répète ce processus deux fois sur une période de 2 semaines.
Ensuite, place tes cendres dans un récipient en biscuit (facilite le séchage) et couvre les avec du papier galvanisé en s’assurant que l’air circule autour.
Le séchage des cendres
Tu peux profiter de la chaleur dégagée par le four pendant la cuisson de tes poteries. Veille à mettre tes cendres dans un saladier en biscuit. Surtout ne place pas ton récipient directement sur le four car l’eau et les cendres peuvent traverser le fond du plat, par porosité. Dépose une plaque métallique sur ton couvercle de four avant d’y placer tes cendres.
Qu’est ce qu’un émail ?
Typiquement c’est une couche de verre fondu à la surface d’une poterie. Il produit une surface lisse, hygiénique, non-poreuse et décorative.
L’approche de Phil Rogers pour fabriquer un émail est : « fais-le et vois »
L’approche se fonde sur la compréhension de la façon dont les différents composants vont former un émail donné.
Les cendres de bois vont se mélanger et inter-agir avec les autres matériaux et surtout avec la silice.
Les matériaux sont des roches et minéraux accessibles et peu chers. Ce qui coûte cher dans la matière première, c’est son extraction, son raffinage, sa préparation et son transport. Mais malgré tout, fabriquer son propre émail revient beaucoup moins cher que d’en acheter un prêt à l’emploi.
Ils contiennent des oxydes
Les roches sont le quartz, le feldspath, la craie, le talc… Chaque minéral contient pour tout ou partie des oxydes. Ce sont ces oxydes que recherche le céramiste pour faire un émail. Un oxyde est une combinaison d’un élément avec l’oxygène. De tous les oxydes de la croûte terrestre, la silice (SiO2) en représente 60%, l’alumine (Al2O3) 15% et le reste 25%. La silice est le seul oxyde indispensable pour faire un émail car il vitrifie. Tous les autres oxydes, à l’exception de l’alumine (stabilisateur) sont des fondants.
Matériaux en poudre
Les matériaux nécessaires à l’émail sont présentés sous forme de poudres. Leur apparence est un peu la même, aussi te faut-il les stocker de manière à pouvoir les reconnaître aisément.

Stockage des oxydes Stockage des minéraux
Il faut bien comprendre qu’un émail n’est pas un engobe ni un colorant de masse. Ces derniers avant cuisson te permettent de préjuger avant cuisson de l’aspect final de ta poterie. Ce n’est pas le cas avec un émail. Celui-ci est une combinaison chimique qui se modifie totalement sous l’effet de la chaleur. Tu peux appréhender le résultat final d’après les exemples visuels fournis sur les réseaux ou les catalogues. Mais ton propre émail sera forcément différent, car les matériaux ne sont pas forcément identiques, l’application de l’émail, son épaisseur et sa cuisson sont variables.
La suite du livre…
Le livre détaille ensuite les différents matériaux utilisés et leur rôle respectif dans la fabrication de l’émail. Le quartz et le silex, le feldspath et la craie constituent la base. Il passe ensuite en revue les matériaux ajoutés en très petite quantité aux précédents et à la cendre de bois. Ce sont la dolomie, le talc, la cendre d’os et les oxydes colorants
Le chapitre suivant concerne le procédé de fabrication d’un émail
On entre là dans le chapitre le plus intéressant pour le potier, le moyen de création de l’émail. Le tamisage, le mixage, le pesage, le dosage sont expliqués.
Il passe en revue le processus des essais avec mélange de 2 ou 3 matériaux avec les diagrammes et détaille les test de couleurs.
Puis l’auteur décrit l’application de l’émail et sa cuisson en oxydation et en réduction. Il aborde enfin les problèmes de tressaillement, d’écaillement, de coulage, de clockage.
Vient ensuite un chapitre sur les émaux sans cendres qui simulent la cendre
Dans ce chapitre l’auteur aborde le sujet de » comment comparer les émaux entre-eux ». C’est grâce au chimiste Hermann Seger (1839-94) et à sa formule qui regroupe les différents oxydes en 3 catégories: les fondants, les stabilisateurs et les formateurs acides de verre. Ce sujet difficile rebute en général les potiers mais il est expliqué simplement et sous un angle pratique.
Enfin, la mise-en-valeur de potiers renommés et leurs oeuvres
Katherine Pleydell-Bouverie, Terry Bell-Hughes, Mike Dodd, Lis Ehrenreich et une dizaine d’autres…
Un livre passionnant, une très belle édition, bien écrit mais…en langue anglaise.
J’en retiens sa philosophie générale: fais-le et vois ce que ça donne. Il cite le cas d’un étudiant qui revient le voir après un stage. N’ayant pas trouvé de cendres de bois, il utilise les cendres de ses déchets alimentaires avec un résultat bluffant!














































































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